Conférence de presse par le procureur de la République dans l’affaire Kendji Girac : entre secret de l’instruction et droit de communication par le parquet

claude piscitelli, domaine public
Création : 30 avril 2024

Autrice : Marie Fauthoux, master droit pénal et politiques criminelles, Université Paris-Nanterre

Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction: Guillaume Baticle

C’est le code de procédure pénale qui permet au Procureur de la République de déroger au secret de l’instruction et de l’enquête. Cette dérogation est si floue qu’il est difficile d’accuser le parquet d’être allé trop loin dans les révélations.

Le jeudi 25 avril, le procureur de la République de Mont de Marsan tenait une conférence de presse concernant le chanteur Kendji Girac, grièvement blessé par un tir. Au cours de cette conférence, le magistrat est revenu sur certains éléments de l’enquête, révélant des détails de la vie privée de l’artiste, suscitant la fureur de ses proches. Cette affaire a mis en lumière la question de l’encadrement du droit de communication par le parquet, au regard du secret de l’instruction et de l’enquête.

Le secret de l’enquête et de l’instruction, un pilier de la procédure pénale

Le secret de l’enquête et de l’instruction est consacré par le code de procédure pénale (article 11 alinéa 1), qui prévoit que les personnes qui concourent à la procédure sont tenues par le secret professionnel. 

Seule la loi permet d’écarter ce secret (article 11 alinéa 1 du même code). À titre d’exemple, le secret de l’instruction n’est pas opposable à certaines administrations : l’article L 101 du livre des procédure fiscales prévoit ainsi que l’autorité judiciaire doit communiquer à l’administration des finances toute indication de nature à faire présumer une fraude fiscale. 

Ce secret de l’enquête et de l’instruction poursuit un double objectif selon le Conseil constitutionnel : d’une part, garantir le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction ; d’autre part, protéger les personnes concernées en garantissant le respect de la vie privée et la présomption d’innocence (Conseil Constitutionnel, 2 mars 2018). 

Depuis une loi du 22 décembre 2021, la violation du secret de l’instruction et de l’enquête est réprimée par une incrimination spéciale inscrite à l’article 434-7-2 du code pénal, qui prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. 

Une dérogation possible, mais dans certains buts précis

Le code de procédure pénale prévoit une dérogation au secret de l’instruction et de l’enquête en autorisant le procureur de la République à rendre publics certains éléments tirés de la procédure. Toutefois, un encadrement strict est prévu : “des éléments objectifs” issus de la procédure peuvent être rendus publics, uniquement “afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public” (article 11 alinéa 3 du code de procédure pénale).

C’est donc d’abord pour  garantir la présomption d’innocence, que le parquet peut évoquer face à la presse des éléments issus de l’enquête, mais cela exclut de la communication toute information relevant d’une appréciation subjective du procureur de la République sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.

C’est ensuite pour éviter certains risques que des éléments de l’enquête peuvent être divulgués. Le droit de communication pour le procureur de la République est justifié, depuis une loi du 15 juin 2000, par une situation qui causerait un trouble à l’ordre public ou contribuerait à la diffusion de fausses informations ou d’informations partielles. La circulaire du 19 janvier 2023 énonce que cette communication judiciaire est un  “outil qui peut être mobilisé en réaction à un emballement médiatique susceptible de porter atteinte” au bon “déroulement de la procédure”. L’intervention du procureur de la République est ici regardée comme nécessaire pour éviter que perdure une situation de nature à porter atteinte au bon déroulement de la procédure.  

Une dérogation nouvelle, encore plus large

La communication judiciaire du procureur de la République a fait l’objet d’un élargissement important avec la loi du 22 décembre 2021 : il est désormais précisé que le magistrat peut communiquer, notamment face à la presse, “lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie” (article 11 alinéa 3 du code de procédure pénale).

Les contours de cet élargissement sont difficiles à cerner. Ainsi, la circulaire du 19 janvier 2023 précise : l’article 11 alinéa 3 du code de procédure pénale peut être mobilisé dès lors que les circonstances de l’affaire le justifient. Cela signifie qu’il appartient désormais au magistrat d’apprécier l’opportunité d’exercer ou non son droit de communication judiciaire. Pour autant, cette dérogation reste imprécise et offre une marge d’appréciation très large au procureur de la République. 

La notion de “circonstances” justifiant la dérogation au secret permet de prendre en considération des critères tels que la complexité de l’affaire, l’influence médiatique sur la procédure, ou encore les personnes concernées elles-mêmes, pour décider de la nécessité de procéder à une communication au public d’éléments normalement couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction.

Qu’en est-il dans l’affaire Kendji Girac ?

Par conséquent, durant la conférence de presse relative à l’affaire Kendji Girac, même si le procureur de la République a évoqué des détails de la vie privée du chanteur, notamment sa consommation d’alcool et de cocaïne, ces éléments peuvent être utiles notamment pour éviter la diffusion d’informations erronées du fait de la forte couverture médiatique de cet évènement. La limite entre les éléments objectifs tirés de la procédure et l’atteinte à la vie privée est complexe à établir, car tout dépend dans le cas présent si les informations révélées avaient pour finalité d’éviter, par exemple, la mise en cause publique de la compagne du chanteur (que certains accusent d’avoir été à l’origine du tir) et de rétablir la vérité. De plus, la présentation du contexte dans lequel les blessures ont été causées peut avoir pour objectif d’expliquer la décision de classement sans suite vers laquelle semble tendre le parquet. Ainsi, l’intervention du Procureur de la République s’inscrit bien dans les limites de la dérogation autorisée de levée du secret de l’enquête. Si la teneur de ses propos a pu choquer par l’ampleur des éléments personnels dévoilés, c’est surtout la conséquence de l’imprécision de la loi, qui offre une marge d’appréciation considérable au parquet dans ce qu’il peut ou non dévoiler.

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.