Crédits photo : Joao Pedro Correia, CC 2.0

Christian Estrosi, maire de Nice, expose un chandelier symbole du judaïsme et un drapeau israélien dans son bureau

Création : 19 avril 2024

Auteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public à l’Université Savoie Mont Blanc, Directeur du DU Laïcité et République

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Aya Serragui et Sasha Morsli Gauthier

Source : Nice-Matin, 13 avril 2024

Un symbole religieux n’a rien à faire dans le bureau d’un maire, sauf dans une vitrine d’exposition avec d’autres objets décoratifs ou cadeaux faits à l’édile. Quant au drapeau israélien, que ce soit dans le bureau du maire ou en façade de mairie, il constitue un message politique contraire au principe de neutralité des services et édifices publics.

Le 13 avril 2024, dans le cadre d’une interview à la presse locale, une photo montre le maire de Nice, Christian Estrosi, afficher un drapeau israélien dans un coin de son bureau de l’hôtel de ville. En réalité, sur d’autres photos que l’on peut trouver, on peut aussi voir, entre autres, les drapeaux français, européen, celui de la région PACA, une pancarte “Je suis Charlie“, une photo de lui et du pape Jean-Paul II, ainsi qu’une hanoukia, c’est-à-dire un chandelier à neuf branches constituant un des symboles du judaïsme. Afficher de tels éléments et symboles dans le bureau d’un maire constitue-t-il une violation de la laïcité et de la neutralité ?

Il faut distinguer d’une part la question des objets, comme la hanoukia et la photo du pape, et de l’autre les affiches et drapeaux.

Une obligation de neutralité visible des personnes publiques

La loi du 9 décembre 1905, en son article 28, “interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.” Lors des débats à la Chambre des députés, Aristide Briand avait précisé ce qu’il fallait entendre par “emplacement public” : il s’agit des rues, des places publiques ou des édifices publics, autres que les musées ou les églises, donc tout ce qui relève de la propriété de l’État, du département ou de la commune, car “ce domaine est à tous, aux catholiques comme aux libres penseurs.” Ces derniers doivent en effet être protégés contre toute forme de manifestation religieuse par le biais de signes ou de symboles.

L’obligation de neutralité des services publics passe donc par leur apparence, et l’image qu’ils donnent aux usagers. Vus de l’extérieur ou de l’intérieur (et donc notamment les bureaux), les services de l’administration ne doivent donner l’impression ni de favoriser, ni de défavoriser aucun culte, aucune croyance. En somme, l’usager ne doit pas se voir imposer une quelconque idéologie.

Ainsi, il n’est pas possible d’apposer un crucifix dans la salle d’un conseil municipal ou dans la salle des mariages, y compris lorsque son installation intervient à la suite d’un transfert de la mairie dans de nouveaux locaux.

Un chandelier religieux et la photo de Christian Estrosi avec le pape : légal dans le bureau d’un maire ?

On peut tout d’abord se demander si le chandelier est le sien. Plus vraisemblablement, il s’agirait d’un cadeau qui lui a été fait. Mais dans les deux cas, peut-il l’exposer dans son bureau ? Dans le cadre de leurs fonctions, élus et agents publics peuvent recevoir des cadeaux, qui peuvent prendre des formes très variées (invitations, boîte de chocolats, objets d’art). L’article 1er de la charte de l’élu local (codifiée à l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales) précise que “l’élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité.” L’Agence Française Anticorruption, quant à elle, rappelle que “les cadeaux protocolaires sont remis aux élus plutôt qu’aux agents publics, souvent à l’occasion d’événements institutionnels comme des échanges entre collectivités et, comme ils expriment la volonté d’honorer une institution par leur nature officielle, ils ne peuvent être refusés. En général, les chartes déontologiques des collectivités territoriales prévoient la remise de tels cadeaux à la collectivité. Ils sont le plus souvent inscrits sur un registre.” Les règles encadrant les cadeaux faits aux élus semblent donc assez floues et peu contraignantes, il n’en demeure pas moins que ces objets posent un problème au regard du principe de neutralité.

En réalité dans le cas de Christian Estrosi, ce qui interroge n’est pas l’origine du chandelier (cadeau ou objet personnel), mais sa signification. En clair, si celle-ci est religieuse, alors il y a certainement atteinte à la neutralité. Or, la hanoukia constitue assurément un symbole du judaïsme. Elle n’a donc sans doute pas sa place dans le bureau d’un maire. En revanche, elle peut être placée dans une vitrine d’exposition, y compris au sein de l’hôtel de ville et donc dans le bureau du maire.

Quant à la photo du pape, son statut relève une certaine ambiguïté, puisqu’il est à la fois chef d’État et chef de l’Église. Il est donc délicat de déterminer si cette photo montre une rencontre institutionnelle entre Christian Estrosi et le pape, ou si elle le montre lors d’un voyage religieux. La question se pose parfois dans d’autres circonstances : est-il possible ou non pour une collectivité publique de financer une visite papale en France ? Ce financement sera interdit si la collectivité ne démontre pas en quoi l’évènement a un but autre que religieux. En l’occurrence, ne sachant pas dans quel contexte la photo a été prise, on peut supposer que Christian Estrosi rencontrait le chef d’État.

Enfin, concernant la pancarte “Je suis Charlie“, on peut imaginer là encore qu’il s’agit d’une grande cause nationale.

En façade de mairie : neutralité dans le pavoisement et les banderoles

Il existe peu de textes relatifs au pavoisement des bâtiments publics, c’est-à-dire le fait de les garnir de drapeaux. La tradition républicaine permet d’orner de façon permanente les édifices publics du drapeau tricolore, emblème national en vertu de l’article 2 de la Constitution. Mais il peut exister certaines obligations, comme sur les bâtiments scolaires (articles L. 111-1-1 et suivants du code de l’éducation), ou pour la mise en berne lors du décès d’un président (article 47 du décret du 13 septembre 1989). Pour le reste, le pavoisement relève en grande partie de la libre administration des collectivités territoriales, reconnue à l’article 72 de la Constitution.

Pas de drapeaux ou banderoles porteurs de messages politiques

La question, sur le plan politique, s’était posée par exemple au sujet du drapeau d’un parti indépendantiste sur le fronton de la commune de Sainte-Anne, en Martinique, et qui fut jugé contraire au principe de neutralité en 2005. Dans la même veine furent jugées illégales l’apposition d’un drapeau palestinien au fronton d’une mairie, l’affichage étant devenu permanent (plus d’un an) et réalisé en dehors d’un évènement particulier ; ou encore l’apposition d’une banderole demandant la libération d’un détenu palestinien.

Dans les deux cas, les juges estimèrent qu’il s’agissait d’une “prise de position dans une matière relevant de la politique internationale de la France dont la compétence appartient exclusivement à l’État“, en application des articles 52 et suivants de la Constitution. Or, l’action extérieure d’une collectivité ne peut s’exercer que dans le respect des engagements extérieurs de l’État en vertu de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales.

En conséquence, le drapeau israélien n’a rien à faire non plus dans le bureau d’un maire.

Et les grandes causes nationales ?

Quant aux grandes causes nationales, comme la lutte contre certaines maladies, le soutien à nos équipes sportives, le soutien à des victimes de castastrophes, etc., elle est tolérée. Ainsi, l’installation du drapeau arc-en-ciel sur la façade de l’hôtel de ville de Paris, ou le fait de peindre certains passages piétons aux mêmes couleurs, furent jugés légaux. Cela est en effet considéré comme l’expression d’un “attachement à des valeurs de tolérance et de lutte contre les discriminations” prohibées par la loi selon un jugement du Tribunal administratif de Paris rendu en 2019. Il fut jugé dans un sens identique au sujet de l’apposition des mêmes drapeaux sur la façade de l’Assemblée nationale.

Mais tout n’est pas grande cause nationale : la réalisation par une commune d’une fresque murale sur le thème de l’accueil des étrangers en France fut jugée illégale, les juges estimant que le maire avait alors pris position dans un conflit politique. De même, fut suspendue en 2023 l’apposition sur la façade d’un hôtel de ville de banderoles portant l’inscription “mairie solidaire avec le mouvement social“, lors des grèves et manifestations contre la réforme des retraites, car contraire au principe de neutralité. Afficher un gilet jaune sur la façade d’une mairie est tout aussi illégal, cela avait déjà été surligné.

Ainsi, Christian Estrosi peut sans doute afficher temporairement un drapeau israélien sur le fronton de sa mairie en signe de solidarité à la suite des attaques terroristes du 7 octobre 2023, non seulement en conformité avec la politique internationale de la France, mais aussi – et peut-être surtout – parce qu’il y a des Français parmi les otages retenus par le Hamas.

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